1.   L’IMPERIALISME EUROPEEN AU XIXème SIECLE ET LES RESISTANCES A LA CONQUÊTE COLONIALE.

Les besoins en produits tropicaux, la recherche de nouveaux débouchés pour les produits industriels, la politique de “ points d’appui ” stratégiques (bases navales) constituent les fondements de l’impérialisme européen au XIXème siècle. La Côte d’Ivoire est l’une des zones de cette expansion européenne. La lutte contre la traite et contre l’esclavage favorise surtout l’impérialisme européen (Grande Bretagne et France).

1.1.  L’impérialisme européen au XIXème siècle

1.1.1. La lutte contre l’esclavage et le développement du commerce licite

1.1.1.1.           La lutte contre la traite négrière

La traite négrière atlantique prend fin au cours du XIXème siècle. Les progrès de l’idée de liberté en Europe et l’action des abolitionnistes poussent à la lutte contre la traite. En 1815, au Congrès de Vienne, les puissances européennes décident de l’abolir. En 1885, au Congrès de Berlin, ils confirment l’abolition de la traite et accentuent la lutte contre l’esclavage en Afrique. La Grande Bretagne et la France, principales puissances navales en Europe, sont les plus actives dès 1815-1848. Leurs navires surveillent la côte ouest-africaine.

1.1.1.2.           Le développement du commerce licite.

Au XIXème siècle, les relations commerciales entre les populations ivoiriennes et l’Europe changent. De nouveaux acteurs européens apparaissent dans les échanges avec les populations du littoral ivoirien (Victor Régis, Arthur Verdier, Swanzy). De nouveaux produits remplacent de plus en plus la marchandise humaine. Ce sont l’or, les produits du palmier, le caoutchouc et le bois.

1.1.2. L’installation des comptoirs français

L’importance des échanges et la forte concurrence entre Français et anglais amènent les premiers à installer des comptoirs permanents sur la côte. Des établissements français apparaissent sur la côte Sud-Est (Assinie, Grand Bassam en 1843), au milieu parfois des populations hostiles. Ce sont des installations réalisées à la suite de traités signés avec des chefs locaux : en juillet 1843, le lieutenant de vaisseau Fleuriot de Langle qui patrouille sur les côtes avec sa petite force navale pénètre dans la lagune Aby. Il traite avec Atékéblé dit “ Peter ”, roi de Bassam et avec le roi du Sanwi. Ces traités doivent permettre l’action des commerçants français : les français construisent un blockhaus baptisé Fort Joinville et commencent à s’installer. Fleuriot de Langle continue à faire accepter le protectorat français aux chefs de San Pedro (mars 1844), Petit Béréby, Tabou (juillet 1844) et Basha (mars 1845).

Mais des traitants français d’une maison de commerce ayant été molestés, Martin Despallières, commandant de Grand Bassam, lance une expédition jusqu’au fond de l’Ebrié en avril mai 1852 et conclut une douzaine de traités. Un grave soulèvement a lieu peu après ; une expédition punitive est menée en 1853 par Baudin accompagnée de Faidherbe (1818-1889) qui construit le fort de Dabou. Mais le commerce éprouve de graves difficultés si bien qu’après 1871 l’évacuation des comptoirs d’Assinie, Grand Bassam et Dabou est prescrite. Le dynamisme d’un commerçant français, Verdier, propriétaire de comptoirs à Assinie et Grand Bassam, le fait nommer Résident français sous le contrôle du commandant naval de la division de l’Atlantique et du commandant supérieur du Gabon. Brétignère, agent de Verdier, s’installe à Elima en 1881. Il fait simultanément oeuvre de pionnier dans plusieurs domaines :

*    il commence l’exploitation forestière.

*    il surveille l’école confiée en 1887 à l’instituteur Jeand’heur .

*    il s’intéresse à le prospection de l’or.

*    il crée à partir de plants venus du Libéria la première plantation de caféiers du pays.

.L’un de ses adjoints Treich Laplène, se distingue dans l’exploration de l’Indénié et de Béttié. (cf carte : des Etats précoloniaux au XIXème siècle)

1.1.3. Le commerce des comptoirs fortifiés

Le choix des emplacements fut choisi par Boüet-Willaumez : Grand Bassam pour l’huile de palme et Assinie pour l’or. Les marchandises étrangères purent être introduites librement aussi bien par les agents de commerce français que par les étrangers. Le ministre n’accorda qu’un avantage aux commerçants français : ils pouvaient bénéficier de l’appui matériel de l’administration pour leur installation et de sa protection constante (ils pouvaient construire des établissements commerciaux à l’abri des forts).

On pratiquait le troc à terre, c’était alors une nouveauté, en effet avant le commerce se faisait à bord des navires, à partir de 1843, les agents de factoreries allèrent eux-mêmes vers le client et cherchèrent toujours à élargir le champ de leurs affaires.

Une factorerie était à la fois :

*    un entrepôt provisoire pour les produits d’exportations et pour les marchandises à vendre dans les villages.

*    Un magasin de vente en gros et au détail.

Elle était dirigée par un agent européen intéressé à ses bénéfices. Chaque factorerie disposait d’un débarcadère ou wharf sur la lagune

La France exerce son influence autour de ses installations, jusqu’en 1889, puis établit son autorité. Mais la concurrence britannique est longtemps forte sur tout le littoral. La Grande Bretagne et la France mènent partout en Afrique de l’Ouest la même politique. L’expansion à l’intérieur se heurte, à partir de 1889, à d’énormes difficultés :

*   L’hostilité des populations courtières du littoral (intermédiaires)

*    La présence de conquérants tels que Samori.

1.1.4. Quelques chiffres

1.1.4.1.           Les exportations de la colonie en 1874 et 1884.

 

1874

1884

ASSINIE

Or....................................

Huile................................

Divers..............................

Total...........................

500.000 fr

175.000 fr

75.000 fr

750.000 fr

400.000 fr

.........

100.000 fr

500.000 fr

GRAND BASSAM

Huile................................

Divers..............................

Total...........................

450.000 fr

50.000 fr

500.000 fr

?

?

1.500.000 fr

JACK-JACK

Huile................................

1.250.000 fr

1.000.000 fr

Total des exportations (en francs).......................................

2.500.000 fr

3.000.000 fr

Source : Atger Paul, La France en Côte d’Ivoire de 1843 à 1893, page 93.

1.1.4.2.           Commerce global de la colonie de 1890 à 1892.

ANNEES

IMPORTATIONS

TAXES DOUANIERES

EXPORTATIONS

1890

835.000 fr

288.000 fr

1.672.000 fr

1891

2.529.000 fr

664.000 fr

3.001.000.fr

1892

1.979.000 fr

667.000 fr

3.738.000 fr

Source : Atger Paul, Ibid., page 168.

1.1.4.3.           Principaux produits exportés (en tonnes)

 

1890

1891

1892

Amandes de palme........

162,635

258,264

731,620

Huile de palme..............

1.885,360

3.334,560

4.671,503

Bois d’acajou................

452,925

2.577,000

3.816,071

Bois de teinture.............

5,723

17,046

50,003

Caoutchouc...................

76,576

97,652

45,526

Ivoire............................

0,183

0,248

0,349

Café..............................

69,437

38,702

43,113

Or (en grammes)...........

74,057

130,100

137,240

Source : Atger Paul, Ibid., page 169.

1.1.5. La lutte contre Samori.

Malinké de Haute Guinée, colporteur devenu chef militaire et religieux, Samori Touré s’est créé un empire personnel immense mais fluctuant qui a dérivé d’Ouest en Est au gré de ses bonnes puis mauvaises fortunes. C’est un adversaire ancien qui continue de bloquer les visées françaises, les français réagissent donc : vaincu à l’Ouest du fleuve Niger par les Français, Samori oriente ses conquêtes vers l’Est et le Nord de la Côte d’Ivoire (1893). Il conquiert un vaste territoire depuis Odienné jusque dans le Nord de l’actuel Ghana et le Sud Burkina [2] . Français et Anglais s’entendent pour abattre la puissance de Samori. A l’Est les Anglais lancent des opérations contre ses troupes. Au Nord, (actuels Burkina et Mali), les troupes françaises mènent l’offensive. Pris dans un étau, Samori tente de se replier vers l’Ouest. Avec la collaboration de populations soumises par Samori, les français le font prisonnier à Guéouleu en 1898. Samori est vaincu. Cette défaite permet la soumission des populations du Nord à l’autorité française et l’installation définitive de la France dans cette partie de la Côte d’Ivoire.

1.1.6. Les premières explorations

La méconnaissance de l’hinterland ivoirien, surtout la zone forestière, amène les Européens à lancer des mission  d’explorations à travers le territoire. Ces missions sont surtout nombreuses à partir du milieu du XIXème siècle.

Les explorateurs sont souvent des officiers de marine (Bouët-Willaumez en 1837-1839, Fleuriot De Langle) ou d’infanterie (Binger). Ils sont de nationalité française (Treich-Laplène , Binger, Bidaud) et anglaise (Lonsdale en 1882, Freeman en 1888 et Lang en 1892, etc...).

1.1.6.1.           Treich-Laplène(1860-1890) [3]

Treich Laplène a effectué la première équipée d’un français à travers la grande forêt au pire moment de l’année, en effet les français n’avaient exploré que jusqu’à Aboisso. Il fallait aller plus loin et prendre Bondoukou que les anglais lorgnaient. L’équipée de Treich Laplène dura du 2 mai au 22 juillet 1887, il visita de nombreux villages pour :

*    Conclure des traités d’amitiés entre la France et les pays de l’Indénié et du Bondoukou

*    Régler les différents qui pouvaient exister entre eux et le royaume de Krindjabo ou l’Akapless

*    Nouer des relations commerciales et obtenir la promesse qu’ils garantissaient la libre circulation des caravanes.

Par ses traités, Treich Laplène avait créé toute une chaîne de protectorats de Grand Bassam à Kong. Les rois avaient promis de répondre négativement aux propositions d’alliance de l’Angleterre et surtout de laisser les caravanes traverser librement leurs Etats.

1.1.6.2.           Binger (1856-1936) [4]

Binger, qui s’est signalé à Faidherbe par ses travaux sur la langue bambara, devient son officier d’ordonnance et peut préparer à loisir une expédition en utilisant sa remarquable bibliothèque africaniste. Parlant couramment le mandingue, langue des colporteurs dioula, il part en septembre 1887 par Sikasso (où il rencontre Samory en train d’assiéger Tiéba), puis Kong (février 1888) avant de remonter vers le nord chez les Bobo et les Mossi. Il traverse les pays Gourounsi, Dagomba, Dagari et parvient le 5 janvier 1889 à Kong où il trouve Treich envoyé par  Verdier à sa rencontre. Les deux explorateurs reviennent par Djimini, l’Anno et l’Indénié. L’oeuvre de Binger est considérable. Il établit une carte comportant 4000 km d’itinéraires rattachés à dix huit positions astronomiques et accomplit un travail ethnographique et linguistique de premier ordre.

1.2.  Les résistances à la conquête coloniale

La conquête française de la Côte d’Ivoire n’est pas facile. Malgré la puissance de son armée, la France se heurte à un vive résistance des populations ivoiriennes. Cette résistance est souvent longue. Elle se manifeste un peu partout par l’action des guerriers et des autorités traditionnelles.

1.2.1. Les causes de la résistance.

Cinq types de raisons expliquent la résistance des populations à la conquête française :

*    Les populations refusent d’abandonner leur indépendance au profit des étrangers que sont les Français.

*    Les populations courtières (Alladian, Abouré) veulent contrôler les échanges entre les populations de l’intérieur et les Européens.

*    Certaines populations refusent tout contact avec des étrangers.

*    D’autres populations portent secours, au nom des alliances militaires entre populations, à leurs alliés engagés dans la lutte contre la France.

*    Certaines populations réagissent à la politique de conquête initié par le gouverneur Angoulvant en 1908. : le gouverneur Angoulvant (1908-1918) inaugura un plan de conquête avec une tactique dite de la " tache d’huile ", celle ci permit de désarmer plus de 110 000 fusils, elle consistait à ne progresser qu’après avoir entièrement organisé le pays à l’arrière, autour d’un poste crée au coeur de la région troublée, à proximité d’un carrefour stratégique et appelé à servir de tremplin pour l’étape suivante.

Les résistances armées prennent des formes diverses selon l’environnement, selon le type d’organisation politique et sociale des populations et la stratégie des chefs militaires locaux.

1.2.2. Les formes multiples de résistances.

1.2.2.1.           Dans la zone forestière

Sur le littoral du Sud Est, la résistance est précoce. Elle se manifeste déjà pendant la période d’exploration :

*    La guerre de Jacqueville et Lahou en 1890,

*    La guerre de Bonoua en 1894 et 1895,

*    La guerre du pays adioukrou en 1897 et 1898.

Dans l’Ouest, chez les Krou et les Mandé forestiers, la résistance a recours à l’ancienne stratégie de guerre. Les populations procèdent au siège des premiers postes :

*    Le siège de Daloa en 1906 chez les Bété,

*    Le siège de Man en 1908 en pays Dan,

*    Le siège de Semien en 1911 chez les Wè.

Les populations utilisent la méthode de la guérilla (attaque par petits groupes). Cette résistance est longue (1906 à 1918).

Chez les Akan, certains groupes (Agni, Abbey, Attié, Adioukrou) privilégient l’unité d’action à une échelle importante :

*    Attaque du poste d’Agboville en 1910,

*    Attaque du poste d’Adzopé toujours en 1910.

Le rôle des rois (Kassi Dihyé, roi du Ndenyé en 1894) et des chefs de guerre (Zokou Gbeuli à Daloa) est souvent déterminant. Vaincus dans leur groupe, ils poursuivent la résistance chez leurs voisins.

1.2.2.2.           Dans la zone de savane

La résistance baoulé (1893-1912) et celle des Gouro (1907-1914) sont les plus significatives.

Des chefs de guerre, des groupes de notables, incarnent la résistance. Chez les Baoulé, ce sont Akaffou Bularé, Yao Guié, Boni N’djoré.

En plus des tactiques de siège (destruction du poste de Salékro en 1912) et de guérilla, les Baoulé utilisent la tactique de la “ terre brûlée ”.Au Nord Est, les Lobi opposent une très longue résistance aux colonnes françaises (1898-1920).

Face à cette résistance, la France utilise des moyens militaires toujours plus importants. Les populations sont définitivement vaincues en 1920, malgré certaines défaites françaises. Les pertes en vies humaines sont importantes pour les populations ivoiriennes.

1.2.3. Les causes et les conséquences de la défaite.

1.2.3.1.           Les causes

Quatre raisons expliquent l’échec des résistances armées :

*    La supériorité de l’armement français : les fusils à répétition, artillerie de montagne contre fusils à silex, flèches empoisonnées, sagaie.

*    Le manque d’encadrement de l’indiscipline tactique des populations ivoiriennes.

*    Les rivalités entre chefs de guerre et les inimitiés souvent anciennes entre populations voisines.

*    Dans une même région, la collaboration de certains groupes nuit aussi à la résistance des populations hostiles.

1.2.3.2.           Les conséquences

1.2.3.2.1.              Au plan politique

Le populations perdent leur indépendance. Elles se soumettent à l’autorité de l’administration française. Elles paient de fortes amendes de guerre. Tous les chefs de résistance sont soit tués, soit condamnés à la déportation (Kassi Dihyé, Samori Touré, Zokou Gbeuli, ...).

1.2.3.2.2.              Au plan économique

Les lourdes amendes de guerre (or, cauris) ruinent les populations. Les opérations militaires et la mobilisation freine la mise en valeur des terres, réduisent la production agricole, l’activité des artisans, ralentissent les échanges commerciaux entre les populations locales. Les échanges avec les traitants européens sont imposés.

1.2.3.2.3.              Au plan socioculturel

La défaite provoque une crise de confiance et un affaiblissement du pouvoir traditionnel (sorciers, féticheurs, chefs). Elle prépare la pénétration des religions monothéistes (islam, christianisme) et syncrétiques (harrisme) dans les régions animistes


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1. L’IMPERIALISME EUROPEEN AU XIX ème SIECLE ET LES RESISTANCES A LA CONQUETE COLONIALE.

2. LE SYSTEME D’ADMINISTRATION COLONIALE    

3. L’EXPLOITATION ECONOMIQUE DE LA COLONIE ET LES RESISTANCES A LA COLONISATION

BIBLIOGRAPHIE     

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[1] Cf 1.1.6.